Benjamin Breda, projectionniste : une passion au service du public

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On sent tout de suite qu’il est passionné. Alors qu’il prépare la séance, il enchaîne les anecdotes, de bonne humeur, sur un ton enjoué. Il évolue à son aise dans la cabine, ne semble pas réfléchir à ses gestes qu’il effectue pourtant avec maîtrise.

Benjamin Breda est projectionniste depuis une vingtaine d’année, il nous a accueilli dans sa cabine de projection lors d’une séance spéciale. Cet après-midi était projeté Les 8 Salopards dans la salle 1 du Gaumont Marignan à Paris, une des rares salles à le projeter en 70mm Ultra Panavision. 

Il a accepté de répondre à nos questions à propos de ce format-là et sur son métier.

 

Ça te fait quoi en tant que projectionniste de projeter du 70mm Ultra Panavision aujourd’hui ?

Je trouve ça sympa de pouvoir partager avec le public et avec les plus jeunes notamment, cette technologie qui est fabuleuse, qui a toujours été la Rolls Royce de la projection. J’ai l’impression de toucher au saint des saints de mon métier. Je suis ravi, évidemment. Quand on fait une opération comme ça, on a une copie en France, ça nous fait venir des gens, y compris les plus jeunes, qu’on accueille avec plaisir dans les cabines de projection pour leur montrer ce que c’est et leur expliquer pourquoi c’est encore intéressant aujourd’hui ce genre de technologie.

 

Pourquoi est-ce important ?

C’est important parce que le numérique est en devenir. Aujourd’hui on exploite en numérique parce qu’on a jugé que cette technologie avait des avantages et des inconvénients par rapport à la technologie 35mm mais que malgré tout dans l’ensemble ça valait le coup de remplacer le 35 par le numérique. Il y a des sujets où il est meilleur et des sujets où il est moins bon mais on est pas mal dans l’ensemble. Maintenant le 70mm c’est vraiment autre chose et pour le coup on a pas encore trouvé le remplaçant. Malgré tout, la chaîne argentique a disparue et c’est difficile aujourd’hui de ressortir ça même si on sait que c’est bien meilleur. On ne peut plus produire de copies 70mm, on n’en a produit qu’une pour ce film-là, en France. On sait que la chaîne argentique est terminée, malgré tout elle est encore utilisée à échelle très réduite ne serait-ce que pour la prise de vue et pour le stockage des copies. Stocker des copies numériques, c’est compliqué parce qu’il faut entretenir des serveurs. Une copie 35 on la produit et on la met dans un endroit bien au sec et elle se garde un siècle, surtout si elle n’est pas projetée, il ne va pas lui arriver grand chose. Donc c’est une chaîne qui existe toujours et qui nous permet de temps en temps de ressortir du 70 par exemple. Et d’arriver à une qualité de projection inégalée. Pour Tarantino par exemple, je pense qu’à chaque fois qu’il produit un film, il estime qu’il faut se dépasser. Pour lui cette technologie le permet. C’est pour ça qu’il prêche en faveur de l’argentique, d’une part sur le plan esthétique c’est ce qui a construit nos valeurs, notre narration, sur pleins de sujets. Et d’autre part, il y a l’idée que c’est une technologie qui permet de se dépasser, d’arriver à des résultats qui sont qualitativement vraiment colossaux. Là on a un colosse, on a un western en 70. Et en Ultra Panavision en plus, c’est à dire qu’il a précisément choisi le format ultime, ultra plat, la dernière fois qu’il a été utilisé c’était en 1966. Il a vraiment été jusqu’au-boutiste sur ce sujet pour montrer que d’une part c’était possible et d’autre part partager auprès du public que ça valait le coup de le faire sur le plan qualitatif.

 

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“Les trois quarts des types qui sortent de l’école aujourd’hui n’ont pas fait de 35 ou n’en feront peut être jamais et ne peuvent concrètement pas s’intéresser à ça parce qu’ils n’en ont pas le temps.”

Tu connaissais déjà la projection pellicule ? Tu as fait une formation ?

Oui c’est mon métier… J’ai un CAP de projectionniste qui existe encore mais qui n’est plus le même, on n’apprend plus les mêmes choses. Le 35mm a dû complètement disparaître du CAP de projectionniste. Aujourd’hui, il y a très peu de projectionnistes qui l’utilisent dans leur vie de tous les jours. Il y en a encore, qui ont leur CAP, qui ont fait beaucoup de 35 parce qu’on n’a pas tous 20 ans, mais pas les nouveaux… Nous on a la chance d’avoir Clément ici qui justement a 20 ans, qui a son CAP et qui a projeté pas mal de 35 parce qu’il est issu d’un circuit particulier de courts-métrages à Clermont, mais les trois quarts des types qui sortent de l’école aujourd’hui n’ont pas fait de 35 ou n’en feront peut être jamais et ne peuvent concrètement pas s’intéresser à ça parce qu’ils n’en ont pas le temps. Alors il faut justement qu’il y ait des gens comme Tarantino qui débarquent pour dire “attention les p’tits gars, j’vais sortir une copie 70 là donc… challenge !”

 

Et pour toi c’était un challenge ?

Non techniquement ce n’est pas du tout un challenge parce qu’on a des outils adaptés, c’est notre boulot, on le connait bien. Par contre c’est excitant et c’est un peu de pression aussi parce qu’il n’y a qu’une copie. Si on fusille la copie on peut pas appeler le distributeur pour lui dire “Bon je suis bien désolé, je sais que ça va coûter un peu de sous mais je voudrais que vous nous donniez une nouvelle copie !” Je me souviens encore d’une projection à Cannes, la deuxième projection sur la sortie de Star Wars Episode II qui était hors sélection officielle. Je vais le voir à la deuxième séance en ville : rayé vert en plein milieu ! Que des américains dans la salle, le scandale quoi. Ça c’était des trucs qui arrivaient en 35 et qui auraient pu nous arriver en 70. Il suffit de se louper ou qu’un moteur lâche et du coup ça raye la copie parce qu’il va y avoir un bourrage ou quelque chose. Donc ce n’est pas forcément de la faute du projectionniste mais ça arrive. Alors que la copie numérique, même si le projecteur tombe en rade, on prend un autre projecteur et on projette la même copie qui sera aussi belle au départ de chez nous qu’à l’arrivée dans une autre salle à Triffouillis-les-Ecluses. Ce qui n’était pas le cas non plus avec le 35. Donc voilà il y a des avantages et des inconvénients. Malgré tout le 70 reste pour l’instant inégalé et inégalable.

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“Malgré tout le 70 reste pour l’instant inégalé et inégalable.”

Tu es content de travailler dans le cinéma en France qui projette cet Ultra Panavision 70mm ?

Ouais, ouais, ouais ! Après il y a d’autres cinémas qui auraient pu le faire. Nous au Gaumont Marignan on a eu la chance d’avoir cette copie parce que notre directrice s’est battue pour l’avoir, je pense qu’elle doit être un peu fan de Tarantino et fan de ce support évidemment. Elle voulait voir jouer ce support chez elle, dans son cinéma, et partager. Mais on pourrait citer des cinémas autres que dans Paris qui ont des projectionnistes tout à fait capables d’exploiter des copies en 70 et le matériel dans leur cabine.

 

Qu’a-t-il fallu faire pour le matériel ?

Il nous a fallu ressortir notre projecteur 70, pour voir dans quel était il était. On s’est rendu compte qu’il avait quand même des défauts qui auraient nécessité pas mal de travail dessus, ce qui était jouable mais notre installateur 2AVI nous a dit qu’il avait une pièce meilleure que celle-là. On va pas remettre en état coûte que coûte un vieux coucou. On a préféré prendre le projecteur qu’on nous proposait, exactement le même mais mieux conservé. Ce sont des projecteurs qui, s’ils ne tournent plus, vieillissent. Et le notre, il y avait pas mal de pièces à changer, il suffit qu’un obturateur soit un peu tordu pour que l’image scintille trop, et c’est dommage.

 

La salle a été contrôlée avant ?

Ah oui complètement ! On a eu plein de gens. Au niveau du son par exemple c’est un ingénieur qui est venu le raccorder parce que c’est son expertise, écouter la salle, régler les niveaux, pour pouvoir projeter dans les meilleures conditions. Après c’est quelque chose qu’on fait assez souvent, de normaliser nos salles. On a souvent le distributeur qui vient vérifier que la lumière est aux normes, ni trop ni pas assez, que le son est aux normes. On a la chance en France d’avoir des organismes de certification de salle et de normalisation comme la CST (La Commission Supérieure Technique, ndlr). Plus on est près d’eux et mieux on se porte parce qu’on sait qu’on va faire du bon boulot. Après, tout le monde n’a pas forcément le temps de le faire, nous on prend le temps qu’il faut.

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“On se remet à la place du petit garçon qui est dans la salle de cinéma, qui voit arriver ça sur l’écran et qui trouve ça génial. On le fait pour les autres, on leur propose ça aux gens.”

Des pressions particulières avec cette projection ?

La pression de la copie ouais, c’est une pression qu’on se met nous parce qu’il n’y en a qu’une. Après nous en temps que projectionniste on a envie de faire plaisir. Moi je me souviens de ma première projection où j’ai projeté Terminator 3, je me souviens de voir arriver le logo Columbia à l’écran en scope avec la musique. J’étais hyper excité, hyper ému, je me disais “c’est moi qui projette ça !” Et on se remet à la place du petit garçon qui est dans la salle de cinéma et qui voit arriver ça sur l’écran et qui trouve ça génial. On le fait pour les autres, on leur propose ça aux gens, on se met la pression de leur offrir le meilleur spectacle possible. D’autant plus qu’on a un Tarantino qui nous demande une scénographie particulière. C’est génial parce qu’on a l’impression de faire un spectacle vivant, c’est ça le cinéma en fait, c’est vivant.

 

Qu’est ce que tu penses justement de cette initiative de Tarantino ?

Je trouve ça génial, j’adore Tarantino pour ça, il est grand, c’est inouï. Après il est jusqu’au-boutiste donc dans le discours il va être un peu réac’ mais parce qu’il veut faire passer un message. Il n’y aurait pas besoin d’être réac’, mais sans des types comme lui on aurait pas fait ce qu’on a fait là. Il fait partie du paysage et je crois qu’il a vraiment sa place pour faire ce genre de choses.

 

C’est quoi comme type de public ?

On a des personnalités qui sont venues, en toute discrétion, et aussi des petits couples de jeunes par exemple, c’est ça qui est intéressant. Et puis, il y a aussi les anciens qui savent exactement de quoi il s’agit, parce qu’ils l’on vécu pendant des années. Ils viennent revoir ça parce qu’ils savent le plaisir que ça procure d’avoir une qualité de projection pareille. Une image épaisse, vivante, des noirs profonds, des blancs bien blanc.

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“Il y a une certaine marge de progression dans le numérique qui n’existe pas du tout en argentique, donc dans 10 ans le numérique, attention ! Gros sujet !”

En tant que projectionniste, le numérique est-il décevant ?

Je dirais qu’ici on a toujours eu la chance de projeter des copies de qualité donc le numérique ne nous a pas apporté plus, si ce n’est la possibilité de jouer en 3D. Après, il y a une souplesse d’exploitation qui nous permet de programmer plus de films, c’est intéressant pour notre public. C’est comme ça que je le vois, je le vois pour le public, c’est ça que je fais dans mon métier. C’est autre chose, c’est intéressant aussi parce qu’il a fallu s’immerger dedans. C’est hyper technique, en tant que technicien ça m’a passionné pendant un certain temps. Mais je reconnais que la projection 70 est inégalable en qualité, c’est sûr, et ça m’enthousiasme beaucoup de projeter cette qualité là. A contrario je dirais que le numérique est moins palpitant à ce niveau là. Maintenant il y a une certaine marge de progression dans le numérique qui n’existe pas du tout en argentique, donc dans 10 ans le numérique, attention ! Gros sujet ! Aujourd’hui on arrive à la qualité du 35 à peu près, avec des avantages et des inconvénients. La qualité du son est incroyable, il faut avoir les installations qui suivent. La copie reste fidèle jusqu’à la fin de l’exploitation, c’est génial. Certains films s’y prêtent tout particulièrement et, contre toute attente, produisent des qualités de copies numériques incroyables. Je pense au Ruban Blanc d’Haneke qui est bluffant, il y a vraiment beaucoup de travail sur cette copie. Non, j’ai rien contre le numérique, loin s’en faut, mais je suis bien content de faire du 70.

 

La projection, c’est l’étape ultime du film. Beaucoup de réalisateurs s’en remettent au projectionniste. Qu’est-ce que ça te fait que des types comme Scorsese disent ça ?

On est le dernier maillon de la chaîne, c’est sûr qu’on a un travail à faire. Si on imagine un cinéma tout en numérique avec personne en cabine de projection, on peut imaginer que la personne qui appuie sur le bouton n’a pas de notions de ce que sont l’image ou le son. Et ça peut être triste. Maintenant c’est pas la vocation des exploitants de ne pas aimer le cinéma. L’exploitation c’est un petit métier, un petit monde de gens qui sont nés pour faire ça. Tous les exploitants que j’ai toujours connus, y compris chez nous qui sommes vraiment un grand groupe, qu’on pourrait presque apparenter à la grande distribution. Tous les directeurs de nos salles sont des gens qui ont commencé comme agent d’accueil pour être un jour directeur parce que c’était leur truc d’avoir un cinéma, ils aiment ça. Ils ont tous vocation à garder des gens dans leurs équipes qui sont calés sur ces sujets. Donc c’est gentil à Scorsese de dire ça mais il a raison. Il a raison de dire qu’effectivement, il laisse la main à l’exploitant pour embaucher des personnes qui veulent offrir le meilleur spectacle aux spectateurs. Mon ressenti par rapport à ça c’est qu’on a été assez décimés suite au passage au numérique, mais que l’outil nous le permet malgré tout. C’est sûr que quand on recommence à ressortir des copies 35 et des copies 70 on se sent vite dépassés parce qu’il faudrait qu’on soit plus, comme avant. Il faut surtout veiller à ce que la qualité de notre travail soit toujours aussi bonne et on a heureusement encore une fois des organismes comme la CST qui veillent au grain. Les exploitants ne peuvent pas faire n’importe quoi. Quand on a commencé à faire du numérique, on aurait pu imaginer que les exploitants qui n’avaient pas encore les moyens de s’équiper commencent déjà à projeter les premières parties avec un projecteur VGA. Mais non, c’est interdit. Tant que la CST n’avait pas validé que la projection en salle doit être au minimum en 2K, l’exploitant n’avait pas le droit de le faire, même pour les pubs. On a des contraintes techniques qui sont respectées les trois quarts du temps. Après il y a des difficultés économiques, des zones plus sinistrées que d’autres qui font qu’effectivement les lampes sont tirées à leur maximum, et c’était vrai aussi en 35mm. Le numérique est plus exigeant, je pense que le 35 était plus facile comme format de projection. Je maintiens qu’il faut continuer à avoir des projectionnistes dans nos salles parce que quand j’ai commencé il y a 20 ans les gens tapaient à la porte si c’était flou. Ils savaient qu’il y avait un projectionniste et que c’était sûrement de sa faute si c’était flou, et ils avaient raison de le faire. Aujourd’hui si les gens s’habituent à ce qu’il n’y est personne, que la projection est floue, et qu’ils sortent en se disant que le film était mauvais, ça serait dommage.

Propos recueillis le 19 janvier 2016 au Gaumont Marignan à Paris.

Photos prises au Gaumont Marignan à Paris par Quentin Pellissier.

Corrections : Aurèle Collin.

Publié le 7 février 2016. Dernière mise à jour le 30 décembre 2019.

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