Interview de Pascale Rey, présidente de DreamAgo

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Pascale Rey est une grande passionnée de l’écriture. Tellement qu’elle a fondé en 2005 avec la réalisatrice Libanaise Soula Saad une association internationale de cinéma qui aide des auteurs à construire et vendre leurs projets. L’ambition est grande, mais les résultats sont là. Présente en Europe et aux Etats-Unis, DreamAgo, qui revendique 250 membres dans le monde (tous des professionnels du cinéma), a déjà permis à des dizaines de projets d’aboutir.

Nous avons voulu en savoir un peu plus sur cette association et celle qui la porte. 

 

pascale rey

“Pour moi, le cinéma est l’art idéal pour partager des destins, des inquiétudes, des bonheurs, des états des lieux en parlant la langue universelle de l’émotion.”

 

Parlez-nous un peu de vous, c’est quoi votre histoire ?

J’aime passionnément les mots. Les nuances. Les histoires… Quand je raconte une histoire j’ai toujours le souci de donner un maximum de détails, de décortiquer le pourquoi du comment. Et au-delà des mots, j’aime surtout les gens. J’aime comprendre comment ils fonctionnent, ce qui les fait vibrer (même si ce sont des choses qui me seraient très étrangères). J’aime les différences…

Je suis née en Suisse (en Valais). C’est peut-être ça le secret de mon plaisir des langues ? En Suisse, on parle trois langues (français, allemand et italien) et à l’école on ajoute l’anglais. Ensuite, il m’a suffi d’aller en Espagne pour apprendre l’espagnol.

Quand on aime écrire, quand on aime les histoires, c’est tout naturellement qu’on se tourne d’abord vers la nouvelle, le roman… Adolescente j’ai fait plusieurs concours de nouvelles et j’ai gagné plusieurs prix de littérature – du coup, tout le monde, dans mon entourage, pensait que j’allais devenir écrivain ! –  et la transition vers l’audiovisuel (télévision et cinéma) s’est faite très naturellement car j’ai toujours été passionnée de cinéma. En quittant ma Suisse natale, je suis donc venue faire une maîtrise de lettres section théâtre à la Sorbonne, tout en suivant les ateliers d’Yves Lavandier… Et je n’ai, depuis, jamais cessé d’aimer écrire, d’aimer coacher des auteurs et donner des cours de dramaturgie. En fait, la dramaturgie me passionne… littéralement !

 

Qu’est ce qui vous motive dans l’écriture de scénarios ?

J’aime raconter des histoires en images. J’aime l’idée que l’objet scénario (le papier) disparaît mais pas l’essence du scénario. J’aime être à l’origine ou aider un auteur à être à l’origine d’un projet… Bien qu’ayant fait le conservatoire d’art dramatique de Genève pour devenir comédienne, j’ai rapidement bifurqué vers l’écriture. Un plaisir solitaire mais destiné à fédérer, à rassembler. En effet, il y a énormément de professions qui convergent pour transformer un scénario de l’écrit à l’écran. Vous rêvez de personnages, d’histoires et vous entraînez nombre de professionnels dans votre rêve pour qu’il puisse prendre vie.

 

La réalisation vous tente-t-elle aussi ? Mettre vos récits en image ne vous manque pas ?

Non. La réalisation ne me tente pas parce que je ne me sens pas de talent pour ça. Je pense que si je réalisais, je n’apporterais aucune valeur ajoutée à l’histoire écrite avec des mots, que ce soit la mienne ou celle d’un autre auteur… J’admire les réalisateurs qui savent transcender un scénario tout en respectant l’écrit, l’âme, l’intention de départ. Mais ce sont des compétences différentes. Complémentaires mais différentes.

 

Vous dites que vous aimez comprendre comment fonctionnent les gens. Arrivez-vous à les comprendre aujourd’hui ?

Ce serait prétentieux que de penser qu’on parvient à comprendre tout le monde… Mais je m’efforce très souvent d’essayer. J’aime croire que la tolérance est une valeur essentielle. Il est vrai cependant que ma tolérance est malmenée lorsqu’il s’agit d’essayer de comprendre les agissements d’extrémistes qui associent leur vision extrémiste à des actes de violence. Je n’ai jamais pensé que la violence était une solution. A rien. Je pense au contraire que la violence est contagieuse, qu’elle appelle la violence. Alors je suis pour une tolérance vigilante, exigeante. A part ça, je suis une fervente optimiste, une passionnée de liberté mais la petite phrase « la liberté des uns finit là où commence celle des autres » vibre très souvent en moi. Pour résumer, je vous dirais que non, non, hélas, je ne comprends pas tout le monde !

 

Consultation Plume & Pellicule

“Je me suis rendue compte que partout dans le monde il existait des auteurs très talentueux qui n’avaient aucun moyen pour faire exister leur projet et que, de fait, leur scénario restait dans des tiroirs.” 

 

En quoi consiste DreamAgo, cette association dont vous êtes la présidente ?

J’ai créé DreamAgo en 2005 parce que je voyageais beaucoup pour donner des cours de scénarios ou animer des ateliers et ce dans le monde entier (Philippines, Madagascar, Espagne, Marrakech…) et je me suis rendue compte que partout dans le monde il existait des auteurs très talentueux qui n’avaient aucun moyen pour faire exister leur projet et que, de fait, leur scénario restait dans des tiroirs. J’ai voulu créer une association qui n’existait pas quand j’ai commencé à être scénariste. En gros, créer pour d’autres auteurs du monde entier ce qui n’avait pas existé pour moi : une communauté solidaire qui puisse être un accompagnement et un tremplin pour faire aboutir des projets de cinéma.

DreamAgo est donc une association internationale de cinéma dont l’objectif est de tisser une toile de solidarité sur le monde dans le milieu du cinéma. Mais nous ne sommes pas une bande d’allumés… Nous aidons concrètement des projets à exister de la plume à la pellicule en organisant deux étapes clefs : un atelier d’écriture en Suisse, à Sierre, dans un château magnifique (le château Mercier) tous les mois de mai juste avant le festival de Cannes (cette année ce sera du 6 au 14 mai) et une rencontre en Novembre à Los Angeles durant le marché du film Américain (qui est en fait un marché du film international) pour permettre à ces mêmes auteurs de pitcher leur projet à des producteurs.

Notre atelier d’écriture (Plume & Pellicule) réunit donc 10 auteurs triés sur le volet (11 cette année !), ayant écrit un scénario soit en anglais, soit en espagnol, soit en français et leur propose de rencontrer cinq consultants de prestige (dans les années passées nous avons reçu Christopher Hampton, David Seidler, Henry Bean, Carl Gottlieb, Larry Gross, Alexandre Adabachian, Arturo Arango pour n’en citer que quelques-uns) qui vont analyser leur scénario et leur donner des pistes pour les améliorer. Cette semaine très intense leur donnera également l’opportunité de parler avec les neuf autres auteurs (qui auront également lu tous les autres scénarios) lors de rencontres individuelles. Le soir nous organisons des projections de films en présence du réalisateur, d’un comédien ou de l’auteur de façon à permettre au public et aux auteurs d’échanger autour du travail…

Après l’atelier Plume & Pellicule, les auteurs ont deux mois pour ré-écrire et re-soumettre leur projet à DreamAgo. Si le scénario est suffisamment abouti pour être présenté à des producteurs, nous emmenons donc les auteurs à Los Angeles pour un speed dating professionnel (une douzaine de producteurs joue le jeu) de façon à ce qu’ils puissent pitcher leur projet. Les producteurs qui sont présents sont particulièrement friands de ces rencontres et nous avons la chance de toucher des producteurs formidables. Neuf films ont été réalisés suite à nos ateliers Plume & Pellicule et de nombreux prix pour le scénario ont été gagnés par les auteurs (Nicholl Fellowship à Los Angeles mais aussi Sopadin en France).

Parallèlement à ces deux événements phares, nous sommes une réelle communauté, nous déjeunons ensemble tous les mois à Paris et à Los Angeles, nous projetons un ou deux courts-métrages avant chaque déjeuner de façon à pouvoir échanger après la projection et créer des rencontres professionnelles chaleureuses et permettre aux différents professionnels d’établir des liens organiques.

La ligne éditoriale de DreamAgo est un cinéma humaniste et divertissant.

 

Créer DreamAgo a-t-il été difficile ? Comment ça s’est passé ? Existe-t-il d’autres associations de ce type ?

Non! En fait, étonnamment, ça a été très facile… j’ai très vite eu l’impression que c’était le bon projet avec les bonnes personnes, car j’ai immédiatement réussi à convaincre des amis de me rejoindre ainsi que nos parrains. Stephen Frears, par exemple, m’a dit oui en fin 2004… Alors qu’il n’y avait de mon projet que quatre à six pages de description ! (Et depuis, il ne nous a plus lâchés ! Il vient de me confirmer sa présence pour la dixième fois en mai prochain !) Idem pour le lieu de notre atelier, Sierre, c’est la ville dont je suis originaire et les autorités ont immédiatement répondu présent ! Comme quoi l’adage “Nul n’est prophète en son pays” n’est pas valable à tous les coups !

Il y a de nombreux autres ateliers d’écriture en France, en Europe et même aux USA… mais je crois que si on devait comparer DreamAgo à un autre organisme existant, celui auquel nous ressemblons le plus serait Sundance, aux Etats Unis. Michelle Satter (la directrice des laboratoires de Sundance) m’a d’ailleurs souvent dit que DreamAgo lui faisait penser à Sundance à ses débuts… Sundance a plus de 25 ans et a été créé par Robert Redford… C’est sûr qu’à côté, Pascale Rey c’est carrément moins impressionnant ! 

Une des différences majeures entre Sundance et DreamAgo (à part le fait que, bien sûr, Sundance est beaucoup plus conséquent et jouit d’une réputation incroyable !) c’est que Sundance sépare l’aspect festival et l’aspect atelier. Cela ne se passe pas en même temps. Nous, dans Plume & Pellicule, nous faisons les deux choses en même temps. Quant aux autres organismes qui se font en France, il n’y en a aucun – à ma connaissance – qui se fasse en trois langues. Il y en a qui sont en français et en anglais, mais en général on demande aux auteurs de parler anglais. Chez DreamAgo, il suffit d’être compétent en une seule de nos trois langues et nous avons des traducteurs et interprètes formidables sur place qui assurent la fluidité à notre « tour de Babel »! C’est une des qualités qui étonne toujours les nouveaux invités ou consultants. Mais il me semble important que chaque auteur ou chaque consultant puisse travailler dans sa propre langue. D’ailleurs nous traduisons tous les scénarios dans les trois langues.

 

“J’aime l’idée de pouvoir faire bouger les montagnes, d’aider des projets formidables et d’être (…) capable de transformer pour des auteurs leur rêve en réalité…”

 

C’est un rêve que vous réalisez ?

Oui, vous ne croyez pas si bien dire! En fait, DreamAgo répond à plusieurs de mes rêves. Le premier est ce désir que j’ai depuis toute petite d’avoir le don d’ubiquité… Avec DreamAgo et notre « présence » sur plusieurs continents, ce rêve est presque réalisé. Ensuite, j’aime l’idée de pouvoir faire bouger les montagnes, d’aider des projets formidables et d’être – même à une petite échelle – capable de transformer pour des auteurs leur rêve en réalité… Enfin, j’ai la chance incroyable d’être accompagnée par une équipe absolument exceptionnelle, et ce depuis le premier jour! Je suis particulièrement touchée par la compétence de tous ceux qui m’accompagnent et, plus encore, par leur générosité. DreamAgo c’est le rêve de faire exister ensemble ce qui ne peut pas exister tout seul. Je suis vraiment très chanceuse ! Le fait de pouvoir travailler avec des personnes de talent et que j’aime profondément est un luxe incroyable !

DreamAgo… d’ou vient ce nom ?

Au début, je voulais appeler mon association « Imago » pour le mot « image » en latin, mais aussi pour le processus de maturation (on appelle l’imago la maturation des organismes à métamorphoses multiples comme les cigales par exemple qui mettent trois ans à devenir une cigale… le scénario met souvent trois ans, voire plus, à devenir un film)… mais lorsque je suis allée déposer le nom à l’INPI, il y en avait déjà 67 qui l’avaient choisi ! – comme je ne voulais pas être la 68ème, j’ai décidé de faire un mélange « dream » + « imago » qui donnerait donc DreamAgo et signifierait – dans mon vocabulaire personnel « la maturation d’un rêve ». Pour moi, il faut d’abord rêver les choses avant de les réaliser… A dream ago… « il y a un rêve de cela, maintenant, c’est une réalité ! » ou Go for your Dream.. Give your Dream a go! En plus, c’est facile à prononcer en français, en anglais et en espagnol…

 

J’ai l’impression que beaucoup de monde travaille pour DreamAgo (traducteurs, le “pool de sélection” cf. plus bas), ce sont des bénévoles ou des employés ? Combien sont-ils ?

Alors pendant huit ans, tout le monde était bénévole. Moi compris. Et puis, ça s’est tellement développé que nous avons professionnalisé et aujourd’hui il y a deux salariées: la responsable logistique (qui est également mon assistante) et moi. Les autres ne sont que défrayés par « mission ». Lors de Plume & Pellicule, nous sommes 12 personnes, dont trois traducteurs. Lors de Meet your Match, nous sommes uniquement trois, parfois quatre. Mais nous avons énormément de chance car toute l’équipe est d’une générosité sans faille ! C’est la raison pour laquelle je voudrais pouvoir passer à la vitesse supérieure afin de pouvoir travailler avec tout le monde de manière plus complète en les rétribuant à leur juste valeur. Nous avons aussi une association en Suisse, à Sierre, qui s’appelle Les Cinéphiles de DreamAgo et qui nous soutient toute l’année en organisant des projections, des rencontres avec les professionnels… Pour pérenniser l’action de DreamAgo en Suisse. C’est magnifique ce soutien ! Les Cinéphiles ont 200 membres à Sierre qui soutiennent nos actions ! Toute la ville (le président, le conseil communal, le conseil général) et la région sont solidaires… Et nous bénéficions également du soutien de la Loterie Romande (l’équivalent de la Française des jeux), de l’Etat du Valais, des communes avoisinantes (Crans Montana) et de nombreuses entreprises valaisannes. Ce soutien de toute une population nous encourage à partager chaque année un peu plus et à nous impliquer dans la région !

 

Lequipe de Plume et Pellicule avec un de leurs invites avec Jacques Gamblin

L’équipe de Plume & Pellicule 2014 avec un de leurs invités – Jacques Gamblin – De gauche à droite : Olivier Klein, Ludivine Saes, Nicolas Bilder, Sofia Alaoui, Nena Aristizabal, Jacques Gamblin, Pascale Rey, Maria Cordoba, Miguel Gomez et Joëlle Séchaud (manquent Marta Gómez et les traducteurs : Jeanne Miserendino et Nicolas Serrano)

 

Vous êtes satisfaite de cette association ? Ou peut-être pourrait-elle aller encore plus loin ?

Oui je suis satisfaite de ce qu’elle est aujourd’hui mais je vois toujours ce qu’elle peut encore devenir!.. Là, il faudrait que l’on trouve des partenaires pérennes (on y travaille) pour pouvoir ajouter une résidence : un atelier un peu sur le modèle de Plume & Pellicule, mais qui serait un “atelier de finalisation des scénarios” en septembre qui permettrait aux auteurs d’apporter les dernières modifications à leur scénario avec l’aide de scripts doctors…C’est encore, à mon sens, le chaînon manquant à tout le processus. Car parfois, les auteurs qui ont la chance de passer par Plume & Pellicule et de recevoir des analyses extrêmement compétentes par nos consultants ont du mal à remettre les commentaires en ordre. Certains mettent un peu de temps à réécrire. Il faudrait donc un atelier qui permette aux auteurs de trier les commentaires en fonction de ce qu’ils veulent vraiment faire de leur histoire.

Donc, en résumé, et pour répondre à votre question, on me dit souvent « regarde ce que tu as créé! » mais moi, en fait, je ne vois que ce que je n’ai pas encore réalisé :) Je préfère me concentrer sur ce qu’il me reste à faire pour améliorer les choses…

 

Qu’est ce que vous n’avez pas encore fait ? Et si un jour DreamAgo devenait comme Sundance ?

Le but n’est pas de devenir comme Sundance. Même si je suis très admirative de leur organisation ! Le but, pour moi est de grandir organiquement. Nous faisons très peu de publicité pour le concours de scénarios de Plume & Pellicule, car nous avons un peu peur d’être débordés et je mets un point d’honneur à lire tous les scénarios moi aussi, même si j’ai des pools de sélection, par langue, qui sont très compétents. Le jour où nous grandirons encore en notoriété, nous allons devoir changer ce système. Je suis tout à fait prête, mais je ne veux pas forcer la machine ! Un auteur américain (qui d’ailleurs a eu le prix du Scénario au prestigieux Nicholl Fellowship avec un projet qui est passé par Plume & Pellicule) m’avait dit en riant qu’il était hors de question qu’il fasse de la publicité pour nous car il aimait le fait que nous soyons un peu confidentiels et préférait l’idée que nous restions “le secret le mieux gardé de Hollywood” – pour reprendre ses termes ! Ceci dit, je sens que nous sommes en train de grandir et ça me fait très plaisir parce que plus nous serons connus, plus nous serons crédibles et plus les scénarios qui sortiront de nos ateliers seront lus ! Ca c’est parce qu’on est dans un monde qui a besoin du label “Vu à la télé” (avec sa déclinaison de plus en plus importante : “Lu sur internet !”) qui ne donne vraiment d’importance qu’aux événements dont on parle. Mais ça ne m’intéresse pas que DreamAgo soit connu pour être connu. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est que nous soyons “reconnus” pour la qualité de notre travail et notre abilité à découvrir  des projets formidables et à aider à leur développement de manière significative.

 

Est-ce dur de faire aboutir les projets portés par les auteurs que vous aidez ? Qu’est ce qui pose le plus problème dans cette tâche ?

C’est toujours difficile de faire aboutir des projets. Mais quelle satisfaction quand ça arrive !! Une fois que le projet est abouti, une première phase est passée et là, la difficulté est de trouver LE bon partenaire (producteur, réalisateur – dans le cas où l’auteur ne réalise pas – ou financier…) Nous faisons tout pour faciliter ces rencontres.

 

Combien de scénarios recevez-vous chaque année ?

En tout ? Autour de 200. Parfois moins, parfois plus… C’est une moyenne !

 

Sont-ils généralement déjà de bonne qualité ou vous recevez un peu de tout ?

On reçoit de tout… Mais ce sont souvent des projets de qualité. Soit par le thème, soit dans la façon d’écrire…

 

Combien aboutissent ? 

En dix ans nous avons 9 scénarios qui sont devenus des films. Si vous pensez que nous sélectionnons chaque année dix scénarios, ça fait 9 sur 100… Je dirais donc qu’on est presque à 10% de concrétisation. Personnellement, je ne trouve pas ça très impressionnant, mais il faut savoir que nous ne sélectionnons les projets que sur la qualité du scénario, pas sur le fait qu’il y ait déjà un producteur sur le projet. Ça prend donc plus de temps !

 

“Nous savons tous qu’il ne suffit hélas pas d’un bon scénario pour qu’on puisse faire aboutir un film, mais je pense que cela contribue à multiplier ses chances.”

 

Combien de temps ? Je suppose que ça dépend ?

Oui, ça dépend ! il y a des projets plus faciles à monter. Le film cubain Vestido de novia de Marilyn Solaya, par exemple, vient de sortir. Le projet était passé par Plume & Pellicule en 2008. Le film Ceci est mon corps réalisé par Jérôme Soubeyrand était à notre premier atelier en 2005, il vient de sortir sur les écrans… Quant à Primero de Enero un film tourné en République Dominicaine par la Costa Ricaine Erika Bagnarello est venu à Plume & Pelicule en 2013 et est sorti fin 2014… Donc oui, ça dépend. S’il fallait donner une moyenne, je dirais qu’il faut plusieurs années entre la fin de l’écriture et la concrétisation! Je précise toutefois que DreamAgo ne s’attribue pas le succès du passage du scénario au film. En effet, même si c’est déjà arrivé, nous ne sommes pas toujours à l’origine du fait que le projet trouve un producteur. Notre responsabilité est plus dans le développement, dans l’aide que nous apportons aux auteurs pendant la phase d’écriture. Après, nous continuons à accompagner les auteurs et nous les aidons souvent à rencontrer des producteurs… Mais nous ne sommes pas producteurs et le fait que le projet se fasse ou pas n’est pas toujours lié à notre action. Cependant, je pense sincèrement que même si l’auteur rencontre un producteur en dehors de DreamAgo, l’aide apportée sur le scénario et le fait que le scénario soit plus abouti a un rôle très prédominant dans le fait que le projet puisse devenir un film. Nous savons tous qu’il ne suffit hélas pas d’un bon scénario pour qu’on puisse faire aboutir un film, mais je pense que cela contribue à multiplier ses chances.

 

Pourquoi un bon scénario ne trouverait-il pas de financements ?

Parce que – hélas, triple hélas !!! – même si la qualité d’un scénario multliplie ses chances, ce n’est pas toujours suffisante pour déclencher un financement !!! Il y a toutes les contingences matérielles (budget du film, réalisateur attaché ou non au projet, casting prévu ou non, bankable ou non… Bref. Autant de raisons qui n’ont pas grand chose à voir avec la simple qualité de l’écriture qui, pourtant, est la première chose que l’on découvre d’un projet.

 

Comment on devient membre de DreamAgo ?

Essentiellement par cooptation. On est invité par un membre de DreamAgo à venir à un premier déjeuner. On voit si l’ambiance nous plaît, puis on fait une demande officielle pour adhérer afin de pouvoir revenir aux déjeuners suivants et participer à nos autres activités dans l’année (comme notamment faire lire ses projets par d’autres auteurs pour échanger et faire avancer les choses). Dans cette demande, on doit envoyer son CV (uniquement ce que l’on aime de ce que l’on a fait) et dire pourquoi on veut adhérer à DreamAgo : ce que l’on en attend et ce que l’on est prêt à donner. Ça permet un échange de compétences.

 

De quoi parlez-vous pendant les déjeuners à Paris et Los Angeles ?

On tient nos membres au courant de nos progrès, de nos prochaines actions, et on débat sur les courts-métrages projetés avant le déjeuner. Les courts-métrages que nous projetons sont soit réalisés, soit écrits, soit interprétés, soit montés par des membres de DreamAgo ou alors ce sont des courts-métrages qui sont tout simplement dans la ligne éditoriale de DreamAgo. Le but ? Un déjeuner chaleureux et professionnel qui permette des rencontres.

 

Comment se passent les ateliers d’écriture ? Quelles difficultés récurrentes rencontrent les auteurs ? Quelle(s) méthode(s) de travail utilisez-vous ?

Les ateliers d’écriture Plume & Pellicule offrent aux auteurs de travailler intensément dans un lieu unique et privilégié avec des consultants reconnus qui ont lu leur projet et d’échanger également avec tous les autres auteurs sélectionnés. Durant Plume & Pellicule on offre également aux auteurs de travailler une de leurs scènes avec Maggie Soboil qui est une incroyable script doctor et qui propose une méthode de mise en situation pour approfondir les caractérisations des personnages… Et durant les trois dernières années, nous avons également mis sur pied un atelier dans l’atelier qui permettait aux auteurs de travailler leur pitch avec Yves Lavandier. Le soir, il y a des projections en présence des réalisateurs, comédiens ou scénaristes et l’occasion également de partager autour d’un film.

 

seance de travail avec yves lavandier

Séance de travail sur le pitch avec Yves Lavandier.

 

C’est quoi “un film divertissant et humaniste” ?

C’est un film qui engage l’émotionnel, qui pose des questions (ne donne pas forcément de réponses) et qui est bien écrit (que personnellement j’oppose à « prise de tête »). Je pense qu’il faut par contre cesser d’opposer « Film Commercial « à « Film d’auteur ». Un film peut être un vrai film d’auteur avec une portée très forte générant un engouement populaire. Il devient donc « commercial »  dans le sens où il aura une distribution très étendue et sera synonyme de grosses recettes. Un film divertissant et humaniste est un film très enraciné tout en étant universel.

 

Ça rejoint le cinéma “à hauteur d’humain” que défend Yves LavandierAbsolument ! D’ailleurs Yves Lavandier est membre de DreamAgo.

 

Sous forme de boutade j’ai coutume de dire « nous n’aiderions pas Terminator 45, mais de toute façon il n’aurait pas besoin de nous ». Nous aidons des films qui émanent d’auteurs ayant du mal à faire entendre leur voix.

 

Ces auteurs sont-ils reconnaissants ensuite ? Vous gardez contact ? 

La reconnaissance est un vaste débat! Je crois que cela varie tout simplement parce que tout le monde est différent. Nous ne demandons aux auteurs que de faire un don à DreamAgo dans le cas où ils considéreraient que leur projet doit sa concrétisation à l’action de DreamAgo. Que ce soit sur la qualité du scénario ou sur le fait d’avoir trouvé un producteur… Le montant du don est libre. La majorité des auteurs passés par Plume & Pellicule deviennent membres de DreamAgo après être passés par l’atelier. Beaucoup re-soumettent des projets. Certains ont même été sélectionnés plusieurs fois (avec, bien sûr, des histoires différentes)… Et c’est assez logique car comme la sélection se fait en blind copy, on ne sait pas du tout qu’il s’agit du même auteur que nous avons déjà sélectionné pour une année précédente. Mais l’écriture ou les thèmes choisis sont des choses que nous apprécions. Et cela fait sens, pour moi, de continuer à aider des auteurs auxquels nous croyons. Donc oui. Nous gardons contact avec la majorité des auteurs.

 

Est-ce que ce sont souvent des premiers projets ou des auteurs qui ont déjà écrit avant ?

Il y a de tout. Parfois c’est un premier projet, parfois l’auteur est très confirmé. Je dirais que je préfère quand ce sont des auteurs qui ont un peu d’expérience, car il faut pas mal de maturité pour trier les commentaires quand on a des commentaires divergents (et cela arrive) qui émanent de professionnels que l’on respecte ou dont on admire le travail… C’est aussi difficile, parfois, de réécrire et d’intégrer les notes dans une nouvelle version. Donc ma préférence va aux auteurs aguerris… Mais ce n’est en aucun cas un critère de sélection ! Nous avons également eu des consultants qui ont envoyé des projets et qui ont été sélectionnés ! 

 

Si un auteur veut profiter de DreamAgo, que doit-il faire ?

S’il a un projet de long-métrage (version continuité dialoguée, même si c’est un premier jet) et que ce projet entre dans notre ligne éditoriale humaniste (idéalement ce ne serait ni un film de vampire, ni gore, ni zombie, ni uniquement un film d’action), et qu’il sent qu’il doit encore l’améliorer… Il attend jusqu’en fin août, il surveille notre site et il l’envoie pour essayer d’être sélectionné pour Plume & Pellicule 2016… 

 

Et si jamais vous tombez sur un film de vampire prometteur ?

(Sourires) – Si un film de vampire a une grande portée humaniste et pose des questions sur l’homme et sa destinée à travers un destin particulier… Je ne veux pas dire que nous ne le considérerons pas!…  Mais jusqu’à maintenant, cela n’a pas été le genre de prédilection de DreamAgo :)

 

“On oublie vite le travail du scénariste lorsque le scénario est devenu un film.”

 

Comment voyez-vous la profession de scénariste aujourd’hui ? En France et dans le monde en général ?

Il me semble que ça bouge un peu (mais je suis une incorrigible optimiste je vous l’ai déjà dit !!)… Et que l’on reconnaît de plus en plus l’importance du scénario. Les auteurs – reconnus récemment comme ayant droit à une formation et ce grâce au travail inlassable notamment du syndicat de scénaristes français La Guilde et de scénaristes super motivés – commencent enfin à être un peu plus respectés ! Ceci dit, il ne faut rien lâcher ! On n’est pas encore dans une position très respectée. On oublie vite le travail du scénariste lorsque le scénario est devenu un film.

 

Pourquoi selon vous ? 

Il y a beaucoup de raisons à cela… Mais pour moi la principale est que le réalisateur, quand il trouve un scénario qui le fait vibrer, il doit se l’approprier. Il doit se sentir maître de l’histoire. Il démarche, il envisage le casting, il pense aux plans, aux lieux, à l’énergie des scènes, des personnages… A la manière qu’il aura de rendre tout cela vivant à l’écran… Et au bout d’un moment, dans le processus, c’est presque tout naturellement qu’il plonge dans l’illusion d’avoir écrit l’histoire lui-même, tellement il l’a investie. J’ai donc envie de croire que dans la majeure partie des cas, cette réaction est provoquée par un processus d’investissement…

 

Quelles différences observe-t-on entre les différents pays dans la pratique du métier ?

Avec DreamAgo, l’une des richesses est justement de pouvoir comparer les situations. Dans notre atelier d’écriture, il y a des auteurs latinos américains, des américains du nord, des européens et on constate que la passion de l’écriture est la même quel que soit le pays d’origine… Idem pour la position de l’auteur (à peu de choses près). Dans beaucoup de pays, être seulement scénariste n’est pas viable et seuls certains auteurs s’en sortent en ne faisant qu’écrire… 

 

Quels pays et savez-vous pourquoi ? 

Oui, au Sénégal, par exemple, j’ai donné plusieurs ateliers d’écriture pour les scénaristes (à Dakar) et j’avais surtout des journalistes et toutes sortes d’autres professions. Ils écrivaient à côté de leur travail. Aux Philippines, les scénaristes que je connais font plusieurs choses à côté (des talks shows, du journalisme, ils donnent des cours)… Mais c’est aussi valable à Madagascar, par exemple. Partout où le statut de scénariste n’est pas solide.

 

Vous devez rencontrer beaucoup de professionnels. Quel état dressez-vous de la création cinématographique à travers le monde ?

Oui, je rencontre beaucoup de professionnels… mais je ne me sens pas légitime pour dresser une peinture de la création cinématographique à travers le monde ! Ce que je constate c’est qu’on peut presque deviner la provenance de certains films uniquement à étudier les sujets traités… Et ça, c’est absolument passionnant ! Pour moi, le cinéma est l’art idéal pour partager des destins, des inquiétudes, des bonheurs, des états des lieux en parlant la langue universelle de l’émotion. Ce que j’aime le plus, c’est quand un film vous fait voyager au coeur de problématiques dont vous ignorez tout et que vous en ressortez avec un profond sentiment d’empathie, avec des questionnements, avec – pourquoi pas ? – des colères saines et constructives mais aussi, quel bonheur lorsque cela arrive ! – avec des profonds moments de plénitude. Et la cerise sur le gâteau, c’est lorsque cela arrive dans une salle de cinéma et que vous sentez que votre expérience si personnelle face à l’écran est en fait une expérience collective. Que plus d’une centaine de personnes ont partagé avec vous, en même temps que vous, les émotions que vous venez d’expérimenter. Ces moments-là sont très forts !

 

A ce jour, DreamAgo compte quatre succursales :

DreamAgo France (qui gère les déjeuners et des formations de scénarios)

DreamAgo Swiss (qui gère Plume & Pellicule à Sierre)

DreamAgo USA (qui gère Meet your Match à Los Angeles)

DreamAgo Espagne (en train de se constituer)

Site officiel de DreamAgo.

Propos recueillis par Florian Paume, février 2015. Relecture : Aurèle Collin.

Publié le 25 février 2015. Dernière mise à jour le 21 avril 2018.

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