Réflexions sur Your Name

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L’affiche évoquait le film 5 centimètres par seconde. Puis pendant la séance, il semblait que c’était le même réalisateur – gagné. Les deux étaient bien réalisés par Makoto Shinkai. 5 Centimètres par seconde avait une histoire et une mise en scène très sensibles sur un échange amoureux naissant à des centaines de kilomètres de distance. Dans Your Name, le romantisme est amplifié par un univers qui se place à la frontière avec le féerique, ce qui le rend plus profond…

Petite précision  : si on rapproche Your Name du Voyage de Chihiro d’Hayao Miyazaki, c’est une histoire de succès au box office. Aucune autre comparaison ne me paraît pertinente à part celle-ci (si jamais le box office était un critère pertinent pour ces oeuvres).

Your Name est avant tout une belle représentation de la mémoire  : on la perd inévitablement, et plus vite qu’on ne le pense. Un jour on se réveille et on ne sait plus si ce qu’on a vécu quelques temps auparavant était réel ou si c’était un rêve. Certains souvenirs restent sans nom dans notre tête, nous laissant une sensation d’inconfort permanent chaque fois que, en vain, on cherche à les définir. Ils semblent appartenir à une autre vie, on se demande si on les a fabriqués (séquence où Taki se rend compte que son journal intime est vide, et qu’il se déprogramme sous ses yeux comme une hallucination qui s’estompe). Effectivement, pour certains de ces souvenirs, il ne reste parfois qu’une pauvre sensation, plus forte que le reste, «  je t’aime  », quitte à ce que cette sensation soit inexacte.

Métaphores et symboles.

Quand on dit romantisme, on parle aussi symboles. Your Name cherche ses propres symboles, sans les sortir de nulle part…

La tresse de Mitsuha, qui représente le lien spirituels entre les êtres, est nouée par un fil rouge qu’elle donne à Taki, et qu’il lui donne à nouveau pour résoudre l’histoire. Au Japon, on parle d’un fil invisible du destin, qui relie les gens à la personne à qui ils sont destinés (merci IMDb !). D’autre part, le film crée deux métaphores : celle du lien, et celle du fil de l’histoire, par le fil rouge, qui est l’objet clé du film.

La comète¹ représente un cycle  : Elle revient tous les 1200 ans, et il y a 1000 ans elle a creusé le lac du village de Itomori, où vit Mitsuha. Aujourd’hui, elle tombe à nouveau et creuse un autre cratère, ce qui forme un 8, ou un ∞. La météorite se délite en plusieurs météores, en plusieurs «  fils  » qui eux aussi partent d’une tresse. Dans un élan de numérologie, on constante que 3 ans après la chute de la météorite, le lien entre le garçon et la fille se forme pour le garçon. Puis 5 ans après que le garçon ait perdu la trace de la fille, il la retrouve dans la réalité, donc, 8 ans après que la météorite soit tombée. (On revient sur le 8, youpi, vive les chiffres, sans eux, que serait le cinéma…)

¹ Comète nommée Tiamat, comme la déesse primordiale mésopotamienne, mère des dieux et de tout ce qui existe, notamment des océans – En l’occurrence, on note que le lac double de volume après le passage de la comète… (Allez voir la mythologie Mésopotamienne ici, y a des trucs à voir!)

Extraits de “Your Name”

Les techniques d’animation avancent

Une question m’a toqué le crâne pendant le film. Est-ce la peine de reproduire les défauts esthétiques d’une lentille de caméra dans un film d’animation  ? Formulé autrement, est-ce que le but du dessin animé est de reproduire le cinéma  ?

Je pense que Your Name répond agréablement à cette question, en jonglant sur plusieurs niveaux. Il reproduit les lensflares et la profondeur de champ, les travellings et les panoramiques, et même, comble du détail, durant un des timelapses, j’ai cru voir qu’il reproduisait aussi les sautes de position qu’une caméra pourrait avoir durant sa course  ! Et à la fois, le dessin animé s’affranchit à de nombreuses reprises des lois de l’optique cinématographique par le travail des couleurs, par des raies d’ombres qui partent des personnages et sont visibles en l’air, sur le nombre d’images par secondes qui est variable selon la situation… Une séquence particulière  : celle où Taki s’évanouit et remonte le fil de la vie de Mitsuha. Le rêve qui se déclenche alors jongle entre des plans très libérés sur l’animation, avec des formes et des transitions impossibles dans le monde physique, et des plans où seule la colorimétrie est changée, et un simple vignettage est appliqué autour du cadre.

Your Name montre donc dans son esthétique la volonté de pousser plus loin les techniques maîtrisées en animation. On peut clairement voir dans certains plans des pistes de recherche pour l’animation des années qui suivront. Des pistes qui dialogueront toujours plus avec les codes du dessin animé et ceux du film, créant quelque chose que le film seul ne pourra lui envier.

Trames scénaristiques  : un vent de fraîcheur vient de l’orient

Je ne suis pas un grand fan de ce que la théorie de Blake Snyder a amené au cinéma industriel occidental, et je remarque que le meilleur moyen de s’éloigner de sa structure type en trois actes (Exposition – Problème(s) – Résolution) c’est souvent d’aller voir du côté des films asiatiques. Pour ce qui est visible en ce moment au cinéma, Harmonium de Kôji Fukada est très surprenant dans sa structure, et Your Name, en l’occurrence, n’est pas mal non plus. Ces films ont de commun que l’intrigue possède comme un virage de trop, un chapitre qui repart à un moment où on a la sensation que les problèmes principaux sont résolus.

(Ce que je dis n’est pas une réelle généralité. Récemment, Mademoiselle de Park Chan-Wook était clairement découpé en trois parties.)

L’arrivée croissante de films asiatiques est une réelle chance pour nous occidentaux. Le cinéma actuel de Chine, de Corée du Sud, ou du Japon (pour les plus populaires), est rassurant : il nous rappelle qu’on ne peut pas uniformiser une vision, donc on ne peut pas enfermer le cinéma dans une recette.

Extrait de “Your Name”

Chacun sa vision du romantisme

Je jette allègrement à la poubelle mes considérations sur le romantisme que je trouve lourdingue dans Your Name. Les musiques J-pop transforment mes oreilles en choux-fleur et la force des personnages se transforme parfois en ce que je qualifie de «  niais à en décapiter des peluches  », mais quoi : je ne comprends pas le japonais, je ne vis pas au Japon, je ne suis plus au lycée comme les personnages du film, donc je ne vois pas pourquoi je comprendrais tout ce que me fait passer le film. La différence de vision est dans la langue ET dans la culture.

À côté de cette lourdeur de romance², Your Name est avant tout un film avec une finition minutieuse et au ras de la réalité. Cette réalité fait ressentir la poésie qui s’immisce entre les lignes du film, qui s’infiltre par notre ressenti subjectif des détails.

 

² Je m’étale sur la présence du romantisme, mais honnêtement, Your Name ne nous bassine pas trop avec ça pendant la plus grande partie du film, ce serait de la mauvaise foi de le juger là-dessus.

Publié le 7 février 2017. Dernière mise à jour le 29 décembre 2018.

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