“Star Wars”, que veut la Force ? (2)

Professeur, ESC Pau

- Temps de lecture : 6 min

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“Star Wars”, que veut la Force ? (2)

La version originale de cet article a été publiée sur le site The Conversation.

Dans l’article précédent, nous avons émis l’hypothèse que le succès de la science-fiction (SF) en général et de Star Wars (SW) en particulier reposait sur un triple mouvement explorant la diversité des êtres, le lien avec la nature et une réalité hypertechnologique. Nous approfondissons dans cet article la dimension métaphysique de la saga avant d’aborder les paradoxes technologiques qui s’y font jour.

Conseil des Jedis dans “Star Wars – Episode I : la menace fantôme”.

La « science intuitive » de Spinoza

L’apprentissage, dans SW, est souvent le fruit d’un genre de connaissance que Spinoza a présenté dans l’Ethique à travers la « science intuitive » définie comme « connaître et se connaître du point de vue de l’éternité ». Tout en se reconnectant avec la Nature et l’invisible, le héros de SW met toute sa connaissance et ses sens à contribution, sans intermédiaire technologique. Un nouveau paradoxe apparaît alors, qui tient au fait que le Jedi qui va le plus loin dans la maîtrise de la Force, dans cette intériorité méditative métaphysique ou méta-technologique, est souvent celui qui incarne le plus la technologie jusque dans sa chair. Ce faisant, il parvient en même temps à approfondir plus que les autres sa dimension intérieure, autour d’une fêlure toujours présente (absence ou rejet de la figure du père).

Toutefois, cette recherche d’intériorité paraît exempte d’ambition politique et d’une éthique clairement définie. En effet, les deux camps qui s’affrontent sont chacun dirigés par des leaders qui recherchent et prétendent obéir à la Force sans que personne ne puisse définir ce que veut la Force. Si le credo de la Force n’est pas réellement connu, le discours sur la Force possède certains attributs religieux dont les meilleurs maîtres Jedis forment le clergé suppléé par les autres chevaliers Jedis, véritables moines soldats selon la définition du chevalier donnée par Bernard de Clairvaux au XIIe siècle.

Rien n’est expressément dit sur le projet politique porté par la Force. Malgré ce flou, on peut émettre trois hypothèses. Il peut s’agir au choix :

  • D’un projet politique conservateur qui ambitionne le statu quo, quoi qu’il se passe de juste ou d’injuste dans l’univers, en assumant, nolens volens, un équilibre entre le bien et le mal. En ce sens, la Force est la voie intérieure que doit poursuivre chaque Padawan (aspirant Jedi) en dépassant sa peur. À plus d’un titre, elle se rapproche du djihad intérieur.
    En période de crise politique, ce choix peut amener à se retirer de la société séculière et vivre sa quête seul. Ce serait plutôt le projet des maîtres Jedis (Yoda, Obi-Wan Kenobi, Luke Skywaler), qui tous alternent des périodes de vie en cénobite et en ermite ;
  • D’un projet totalitaire théocratique qui prolonge une volonté politique d’asservir l’univers et toutes ses galaxies par le biais d’un discours métaphysique. Il vise à rétablir l’ordre et la sécurité sous une nouvelle loi commune. La Force en tant que religion est alors au centre pour diriger et dominer tout en évangélisant par la F(f)orce. Ce projet serait plutôt celui de l’Empire puis du Premier Ordre, de l’empereur Palpatine au leader Suprême Snoke.
  • D’un projet politique social-libéral (dans lequel la diversité représente la clé du succès et la liberté le premier motif de lutte) qui fait de la recherche d’une harmonie inter-espèce la garantie d’une paix interstellaire. Ce serait davantage le projet de la princesse Padmé Amidala et de sa fille la princesse/générale Léia Organa, toutes deux des femmes leaders. La Force, religion laïque, apparaît ainsi étymologiquement comme quelque chose qui lie et rapproche. Mais elle n’est pas au centre et demeure sécularisée sous l’égide du politique.

Quel que soit le projet politique poursuivi par les tenants de la Force, encore faut-il avoir les moyens de poursuivre la lutte. C’est là qu’intervient la dernière dimension, entre science et technologie.

Harrison Ford et Daisy Ridley dans Star Wars: Episode VII – Le réveil de la Force (2015)

De la « science-exacte-fiction » à la « technologie-fiction »

La SF lève les obstacles connus en matière de biologie, de chimie et surtout de physique. En cela, l’ambition est de faire de la « science-exacte-fiction ». La gravité constitue de facto la première limite dont l’humanité s’est affranchie. En outre, dans un monde où la vitesse de déplacement est un facteur clé de réussite, tout récit de SF se doit d’intégrer des déplacements à la vitesse de la lumière. La SF résout donc trivialement et rapidement les limites de l’espace-temps posées par Minkowski et prolongées par Einstein. Mais Star Wars n’est pas Star Trek, dont les héros ont clairement une mission scientifique. Dans SW, il s’agit plutôt de « technologie-fiction ».

En effet, La guerre des étoiles substitue au caractère abstrait de réflexions scientifiques (moins divertissantes à présenter au cinéma) celui d’aspects concrètement technologiques (plus amusants et dépaysants). Cette substitution illustre la réflexion du philosophe allemand Heidegger. Ce dernier, dans La Question de la technique, souligne en effet que la science n’est pas la technique : elle est l’utilisation de moyens pour parvenir à des fins. En cela, elle est un dispositif, un instrumentum. Or, la technique est bel et bien utilisée dans SW comme moyen : que ce soit pour asservir les autres (du côté de l’Empire ou du Premier Ordre) ou pour s’en défendre (du côté de la République ou de la Résistance). Elle n’est jamais utilisée pour elle-même. On peut même dire que la science n’est ni l’objet, ni le ressort sur lequel reposent le récit et ses multiples péripéties.

L’utilisation de la technique est en outre emblématique pour chaque camp de sa relation à l’autre. Pour les tenants de la Résistance ou de la République, les problèmes techniques sont toujours présentés comme des connexions physiques à (r)établir. Littéralement, on connecte via des prises (ou des fils) et on doit la majeure partie du temps résoudre manuellement des problèmes mécaniques. À titre d’exemple, le nombre d’opérations que subit le vaisseau Faucon Millenium est éloquent. Par ailleurs, de R2D2 à BB-8 en passant par C3PO, même les machines cherchent continuellement à se reconnecter.

De l’autre côté, pour les tenants de l’Empire ou du Premier Ordre, la destruction de l’Etoile noire (épisodes 4 à 6) et de la base Starkiller (épisode 7) tout comme la constitution d’une armée de clones (épisodes 2 et 3) évoquent l’utilisation de la technologie industrielle pour son simple caractère dominateur et destructeur. Même l’arme la plus emblématique – le sabre laser – est utilisée différemment dans chaque camp : uniquement afin de trancher ou percer pour les protagonistes du côté « obscur », principalement dans le but de se défendre ou pour prévenir que l’on va faire usage de la force pour les autres Jedis.

Hayden Christensen dans “Star Wars: Episode III” (2005)

Greffes technologiques

Enfin, pour confirmer l’importance de la technologie, les héros de la saga sont tous des bricoleurs : que ce soit Anakin Skywalker (ép. 1 à 3), Han Solo (ép. 4 à 7) ou bien Rey (ép. 7 à 9). Si Han Solo maîtrise la technologie sans maîtriser la Force, Luke Skywalker, comme son père avant lui, est l’incarnation d’une alliance charnelle avec la technologie. Cet aspect technologique se retrouve également dans les ajouts bioniques. Or, il est surprenant de constater que les greffes technologiques sur les corps humains sont toujours remarquablement visibles, qu’il s’agisse du bras pour Luke Skywalker ou de la combinaison de Darth Vader. Comme on l’a vu, le paradoxe tient au fait que ceux qui vont le plus loin dans l’intériorité métaphysique sont également ceux qui intègrent dans leur chair une dimension technologique. Reste à voir ce que deviendra Rey, héroïne de l’épisode 7, dans les épisodes suivants : devra-t-elle intégrer corporellement cette dimension technologique ? En contraste, Kylo Ren n’a pas encore cette dimension-là, ce qui en fait un personnage en retrait – pour le moment – vis-à-vis des deux autres maîtres.

Toutefois, si la technologie est partout présente et visible, il faut noter que le progrès technologique, lui, paraît absent dans la saga. Comment en effet expliquer qu’il ne soit fait aucune référence à un quelconque saut technologique entre l’épisode 1 et l’épisode 7, soit sur près de deux générations ? Seul le caractère destructeur de l’Etoile noire a évolué vers un immense canon solaire… Le mouvement semble même s’inverser en ce qui concerne les soldats, puisqu’on passe de clones (ép. 1 à 3) à des soldats en chair et en os (ép. 4 à 7). Une fois présenté le cadre technologique dans l’épisode 4, celui-ci ne change guère en amont (dans les épisodes 1 à 3, les appareils paraissent simplement « vintage ») ou en aval (ép. 7). En fait, une fois que l’univers de SW est posé, il ne bouge plus sur le plan technologique.

C’est dans cette absence de progrès technologique paradoxale que réside la prouesse de Star Wars. En effet, malgré une immersion technologique totale, la saga réussit, dans chaque épisode, à convaincre que la technologie ne constitue pas un progrès en soi et que seul le progrès moral – que devrait permettre la Force – compte. Entre intériorité et extériorité, l’œuvre de G. Lucas nourrit cette tension contraire mais pas contradictoire au milieu d’un écrin politique inchangée et d’une ambition SF intemporelle.

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Publié le 9 décembre 2017. Dernière mise à jour le 15 juin 2020.

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